L'Edito

NIZAR JLIDI écrit : Lecornu, le Parti socialiste et le grand mensonge

Lecornu, le Parti socialiste et le grand mensonge
Lecornu, le Parti socialiste et le grand mensonge

 

l'écrivain et l'analyste politique Nizar Jlidi
l’écrivain et l’analyste politique Nizar Jlidi

Depuis deux jours, la scène nationale française tourne autour d’un marché tacite : Sébastien Lecornu a survécu aux motions de censure grâce au Parti socialiste (PS), qui a vendu sa neutralisation contre la « suspension » de la réforme des retraites. La gauche hors PS parle de trahison ; l’exécutif, lui, savoure un répit. Mais l’addition arrive avec le budget : sous la contrainte d’une consolidation rapide, ce gel n’a rien d’une victoire durable. Les signaux du FMI et de Moscovici convergent : le sujet des retraites reviendra une fois l’orage passé.

 

Le 16 octobre, le gouvernement Lecornu a résisté à deux motions de censure, la principale échouant à dix-huit voix près du seuil fatidique de 289. Ce n’est pas un triomphe, c’est un sursis — obtenu parce que le Parti socialiste a choisi l’abstention après l’annonce d’une « suspension » de la réforme des retraites. L’exécutif y voit la preuve d’un « compromis pour la stabilité ». Dans les faits, c’est un prêt à très court terme, adossé à un budget 2026 bâti sur plus de trente milliards d’économies et une trajectoire de déficit ramenée à 4,7 % du PIB. Les marchés, rassurés, ne le sont pas par ce gel social, mais par un consensus transversal sur la réduction du déficit ; la dette, elle, flirte déjà avec 114 % du PIB. La promesse socialiste s’effrite au contact de ces chiffres. Car la suspension n’est ni abrogation ni réforme alternative : elle repousse l’échéance au-delà de 2027, le temps d’éviter la chute immédiate d’un cabinet minoritaire et de gagner un peu d’oxygène politique. Le pari est clair : acheter du temps, présenter un trophée symbolique à l’électorat, laisser la mécanique budgétaire faire le sale travail plus tard. Or tout dans la séquence budgétaire qui s’ouvre — et dans les exigences rappelées au jour le jour par les institutions financières — indique que la parenthèse se refermera. Ce « deal » sauve Lecornu aujourd’hui ; il dévoilera demain ce qu’il est : un trompe-l’œil.

 

Lecornu survit grâce au Parti socialiste

 

En France, la journée du 16 octobre a pris des allures de test grandeur nature pour le gouvernement de Sébastien Lecornu. Confronté à deux motions de censure déposées par l’opposition, le Premier ministre français a échappé de peu à une chute qui semblait envisageable quelques jours plus tôt. La motion la plus menaçante, portée par la gauche radicale, a réuni 271 voix, soit à dix-huit unités seulement de la majorité requise pour renverser l’exécutif.

Ce sauvetage in extremis n’est pas le fruit d’un ralliement enthousiaste, mais le produit d’une abstention calculée du Parti socialiste français. Le PS, héritier d’une tradition de gauche en crise depuis plus d’une décennie, a choisi de ne pas s’associer à la tentative de renversement. Officiellement, ses dirigeants parlent d’une « attitude responsable », visant à éviter un vide institutionnel. Olivier Faure, premier secrétaire du parti, a résumé la ligne : « Nous ne censurerons pas dès la déclaration de politique générale… Je reste dans l’opposition, mais je veux que le débat ait lieu ».

Cette posture a immédiatement suscité des réactions virulentes. Du côté de la gauche insoumise, Manuel Bompard a dénoncé une « irresponsabilité » et accusé les socialistes de s’être « fait rouler »par la promesse d’une suspension de la réforme des retraites. Dans les rangs de la droite, l’attaque a pris une autre forme : Éric Ciotti, chef des Républicains, a ironisé sur un exécutif devenu « l’otage consentant du PS ». Dans les deux cas, la critique converge : la survie du gouvernement français doit davantage à une manœuvre politique qu’à un soutien réel.

Pour Emmanuel Macron, président de la République française, l’épisode a valeur de démonstration. Il a confié à ses proches que ce compromis était « nécessaire pour permettre la stabilité ». En apparence, l’exécutif a gagné un répit. Mais pour l’opinion et pour ses partenaires européens, le constat est plus nuancé : la stabilité tient désormais à un accord implicite entre un Premier ministre fragilisé et un parti en quête de légitimité. Un équilibre précaire, qui annonce plus une trêve qu’une victoire durable.

 

Le troc de la suspension des retraites

 

Le cœur du compromis, en France, repose sur une promesse qui n’a rien d’une révolution sociale : la « suspension » de la réforme des retraites. Annoncée par Sébastien Lecornu quelques jours avant le vote de censure, la mesure a servi de monnaie d’échange pour neutraliser le Parti socialiste. Présentée par les dirigeants socialistes comme une concession majeure, elle a été brandie comme preuve de leur capacité à infléchir la politique gouvernementale.

Mais à y regarder de près, cette suspension ne correspond ni à une abrogation ni à une réécriture de la réforme. Elle consiste en un gel temporaire jusqu’à la présidentielle de 2027. Autrement dit, la réforme est simplement mise au congélateur, prête à ressortir une fois passée l’échéance électorale. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, l’a résumé sans détour sur TF1 : « On n’en a pas fini avec le financement des retraites… après 2027 la question se reposera. »

La manœuvre révèle donc un calcul à courte vue. Du côté du gouvernement, il s’agissait de sauver la mise lors d’un vote périlleux ; du côté du PS, de brandir un trophée symbolique à ses électeurs et de justifier une abstention coûteuse sur le plan politique. Mais la réalité budgétaire, elle, n’a pas changé. Le coût de cette suspension est évalué entre deux et trois milliards d’euros selon les scénarios. Dans un pays dont le déficit doit passer de 5,4 % du PIB en 2025 à 4,7 % en 2026, et dont la dette dépasse déjà 114 %, il est évident que ce répit n’est qu’un leurre, voire un mensonge.

Cette équation place le Parti socialiste dans une posture inconfortable. Ses dirigeants affirment qu’il n’y a « pas de pacte », qu’ils n’ont « rien cédé » et qu’ils se contentent de vouloir ouvrir le débat. Mais dans les faits, leur geste a donné à Emmanuel Macron et à Sébastien Lecornu l’oxygène politique qu’ils cherchaient. Et il a transformé une mesure technique en symbole : celui d’un troc politique qui risque de s’effondrer dès que reviendra le temps des arbitrages budgétaires.

La suspension des retraites n’apparaît donc pas comme une victoire sociale, mais comme une mise en scène. Elle éclaire un jeu d’ombres où le PS a préféré engranger une concession de façade plutôt que d’assumer le renversement d’un gouvernement fragilisé. Pour l’exécutif, c’est un succès tactique ; pour les socialistes, le pari d’un bénéfice politique futur. Mais pour la société française, c’est un marché de dupes.

 

Le diktat budgétaire : FMI, dette et déficit

 

Le compromis arraché au Parti socialiste s’éclaire à la lumière de la contrainte budgétaire. En France, les finances publiques se trouvent dans un état critique : le déficit attendu pour 2025 dépasse 5,4 % du PIB, et la dette culmine déjà à plus de 114 %, l’un des ratios les plus élevés de l’Union européenne après la Grèce et l’Italie. Le projet de loi de finances pour 2026 vise à ramener le déficit à 4,7 %, objectif jugé indispensable pour calmer les marchés. Pour atteindre cette trajectoire, le gouvernement doit trouver plus de trente milliards d’euros d’économies.

Le Fonds monétaire international, par la voix d’Alfred Kammer, directeur pour l’Europe, a été explicite : « Le projet de budget doit ramener le déficit vers 4,7 % du PIB ». Dans le même souffle, il a salué le « consensus politique » français autour de la consolidation. Traduction : les institutions financières internationales se moquent des débats sur la réforme des retraites tant que Paris maintient une discipline budgétaire stricte. Peu importe que la réforme soit suspendue en surface, l’essentiel est que la France affiche sa volonté d’obéir à la trajectoire fixée.

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, est allé dans le même sens. « Nos finances publiques sont extrêmement dégradées », a-t-il rappelé, soulignant que le financement des retraites devra nécessairement revenir au premier plan. Selon lui, la suspension décidée par le gouvernement coûtera entre 2,2 et 3,5 milliards d’euros par an, un luxe que les finances françaises ne peuvent se permettre sur le long terme. Derrière ce constat, une évidence : les retraites seront de nouveau mises sur la table, probablement après 2027, mais sans doute sous une forme encore plus contraignante que celle suspendue.

Dans ce cadre, la manœuvre socialiste ressemble à une victoire à la Pyrrhus. Le PS a obtenu une suspension dont la valeur budgétaire est marginale et provisoire. Les marchés financiers, eux, ont déjà tourné la page : leur calme actuel n’est pas lié à cette « concession », mais à la perspective d’une réduction des déficits. De l’extérieur, la séquence a même des allures de paradoxe : un gouvernement affaibli qui survit grâce à un compromis partisan, pendant que les vraies décisions se prennent ailleurs, dans les couloirs du FMI et sous le regard des agences de notation.

Ce décalage entre théâtre parlementaire et contraintes financières prépare la prochaine désillusion. Lorsque le budget sera examiné ligne par ligne, l’ampleur des coupes imposées révélera le caractère illusoire du compromis. La suspension des retraites apparaîtra alors pour ce qu’elle est : un sursis, offert à Macron et Lecornu par un PS qui pensait engranger une victoire politique, mais qui risque d’être rattrapé par la dureté des chiffres.

 

Le PS et Lecornu… ou le corbeau et le renard

 

Le Parti socialiste français a choisi la voie la plus risquée : apparaître comme le sauveur d’un gouvernement qu’il prétend pourtant combattre. Pour justifier son abstention, la direction du PS a mis en avant la suspension de la réforme des retraites comme un « gain tangible ». Dans l’hémicycle, certains de ses cadres ont insisté : « Notre décision… n’est en aucun cas un pacte », martelait Laurent Baumel, pour couper court aux accusations de ralliement. Mais le message a peu convaincu, tant le lien entre la survie de Lecornu et la promesse de suspension est évident.

L’opération révèle surtout l’état d’esprit d’un parti en quête d’espace politique. Face à La France insoumise, qui a capté l’essentiel de l’opposition à Macron ces dernières années, les socialistes cherchent à se distinguer en misant sur l’image de la « responsabilité ». Ils veulent apparaître comme une force capable d’obtenir des concessions concrètes, là où les motions de censure finissent par échouer. Ce calcul électoral, tourné vers les échéances européennes et présidentielle, est limpide : se replacer au centre du jeu en prouvant leur utilité.

Mais cette stratégie les expose à un double risque. À gauche, ils sont accusés de trahison. Manuel Bompard a parlé d’« irresponsabilité », et l’ensemble du bloc insoumis s’est engouffré dans la brèche pour dénoncer des socialistes qui « sauvent Macron ». À droite, ils se voient instrumentalisés : Éric Ciotti a pu ironiser sur un exécutif devenu « l’otage consentant » du PS. Dans les deux cas, l’image du parti se brouille, coincé entre une base électorale méfiante et une crédibilité fragile auprès de ses partenaires.

Surtout, la concession obtenue n’a pas de valeur durable. Moscovici l’a rappelé : le financement des retraites devra revenir « après 2027 ». En clair, le PS a mis en avant un succès politique qui risque de fondre à la lumière du prochain budget. Si les économies prévues dépassent trente milliards d’euros et que le FMI exige un retour rapide sous les 5 % de déficit, la suspension apparaîtra comme une parenthèse, pas comme une victoire.

Ce qui se joue, en réalité, dépasse la survie de Lecornu. C’est la crédibilité d’un parti anciennement dominant qui se retrouve testée. En sauvant le gouvernement français au nom d’une concession provisoire, le PS a peut-être gagné une manche symbolique. Mais il a aussi offert à ses adversaires un argument de poids : celui d’être devenu un parti qui marchande des illusions contre une place dans le jeu.

 

Un répitavant la déflagration budgétaire

 

En France, la survie de Sébastien Lecornu a reposé sur un troc politique dont la fragilité saute déjà aux yeux. Le Parti socialiste a présenté comme victoire la suspension d’une réforme honnie, mais il s’agit d’un simple sursis, borné à l’horizon 2027 et condamné par la mécanique budgétaire. Le FMI, la Cour des comptes et les chiffres du déficit rappellent la réalité : tôt ou tard, la question des retraites sera reposée, et probablement dans des termes plus durs.

Le budget qui arrive au Parlement fera office de révélateur. Les coupes annoncées dépasseront trente milliards d’euros, et l’équilibre précaire né de la non-censure sera soumis à l’épreuve des votes ligne par ligne. C’est là que se mesurera la valeur réelle de la concession obtenue par le PS. S’il apparaît que la « victoire » socialiste n’était qu’une parenthèse destinée à sauver un gouvernement affaibli, la sanction pourrait être politique autant que sociale.

Car derrière l’illusion d’une pause, le pays s’engage dans une phase de rigueur imposée de l’extérieur. Lecornu et Macron auront gagné du temps, mais pas la confiance. Quant au Parti socialiste, il a pris le risque de se voir reprocher d’avoir échangé un symbole éphémère contre une responsabilité durable dans la poursuite des politiques d’austérité. À l’heure où la gauche française peine à reconstruire son unité, ce pari pourrait s’avérer plus coûteux que le prix payé pour sauver un exécutif extrêmement impopulaire.

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