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Lettre ouverte au Président de la République française

Lettre ouverte au Président de la République française

Par Jamel BENJEMIA

Monsieur le Président de la République,

Il est des blessures invisibles qui rongent la République plus sûrement que ses ennemis déclarés.
Parmi elles, le doute qui s’installe lorsqu’un citoyen cesse de croire que la justice juge au nom du peuple, et non au nom d’un réseau.

La justice n’est pas une fonction parmi d’autres : elle est le souffle même de la République. Son autorité ne découle ni des palais qu’elle occupe ni des titres qu’elle confère, mais de la confiance que le peuple lui accorde. Or cette confiance s’effrite, lentement, douloureusement, sous le poids des décisions sans explication et des procédures obscures.

La motivation des décisions de justice n’est pas une formalité administrative ; elle est l’âme du procès équitable. Sans elle, le droit devient mécanique, la justice se tait, et la République s’éloigne de son pacte fondateur. Lorsqu’un arrêt n’est pas motivé, le citoyen ne comprend plus la loi : il la subit. Et lorsqu’il découvre que des éléments de preuve ont été dissimulés, il ne doute plus du juge — il doute du pays tout entier.

Cette dissimulation, Monsieur le Président, n’est pas une erreur technique : c’est une faute morale et civique.
Occulter une preuve, c’est trahir la vérité ; trahir la vérité, c’est dévaster la confiance. Le procès équitable n’existe que si la lumière est faite sur tout ce qui fonde la décision. Le moindre manquement à ce principe abîme la République au plus intime de sa promesse : celle d’une justice rendue au nom du peuple, non au nom d’un réseau.

Les obligations légales ne sont pas des faveurs octroyées au gré du bon vouloir des puissants. Elles constituent la colonne vertébrale du pacte républicain. Les ignorer, les contourner ou les relativiser, c’est faire vaciller l’État de droit lui-même. Une justice sans transparence devient une administration du soupçon, et le soupçon, lorsqu’il s’enracine, finit toujours par dévorer la démocratie.

Il est temps de poser un principe clair : qu’aucune décision ne puisse être rendue sans motivation complète, intelligible et sincère. Qu’aucun justiciable ne soit condamné sans avoir été véritablement entendu. Et que la justice ne se résume plus à une conversation virtuelle entre techniciens du droit, loin du regard et de la voix de ceux qu’elle juge.

Car le justiciable n’est pas un accessoire de procédure : il est le centre moral du procès.
Le respect de sa parole n’est pas une option, mais un devoir. Écouter, c’est déjà rendre justice.

À cette exigence s’ajoute une autre, non moins essentielle : celle de l’impartialité.
De nombreux magistrats ont exercé auparavant dans des cabinets d’avocats au service de grands groupes économiques. Ce parcours n’est pas condamnable en soi, mais il impose une règle d’incompatibilité stricte. Nul ne doit pouvoir juger ceux qu’il a conseillés. La mémoire des intérêts servis ne s’efface pas à la porte du tribunal. La neutralité du juge ne doit pas seulement exister, elle doit se voir.

Une République qui tolère la confusion des rôles perd l’essence même de la justice : la distance.
Or, sans distance, il n’y a plus de discernement ; sans discernement, il n’y a plus de justice.

Les textes européens, constitutionnels et déontologiques affirment déjà ces principes. Ce qu’il manque, Monsieur le Président, c’est la volonté politique de les faire vivre pleinement. Car une République se juge à la rigueur avec laquelle elle applique ses propres règles.

Il est urgent d’inscrire dans la loi trois exigences simples :
– que toute décision soit motivée de manière complète et argumentée, et que le justiciable y soit entendu comme sujet, non comme numéro ;
– qu’aucun magistrat ne puisse siéger dans une affaire où sa carrière passée fait naître un doute d’impartialité ;
– que toute dissimulation d’élément de preuve soit sanctionnée avec la sévérité due à un crime contre la vérité.

Ces exigences ne visent ni à soupçonner ni à punir : elles protègent. Elles protègent le juge contre l’ombre, le citoyen contre l’arbitraire, et la République contre elle-même.

La France s’est faite par le droit ; elle se défendra par lui.
Encore faut-il que le droit reste droit, qu’il ne se courbe pas sous la pression des puissances économiques, qu’il ne s’endorme pas dans la complaisance institutionnelle. La justice ne doit obéir qu’à la loi, et la loi qu’à la conscience.

Monsieur le Président, la fonction que vous incarnez n’est pas seulement politique : elle est symbolique.
Vous êtes le garant du pacte républicain, celui qui veille à ce que le droit reste la langue commune de la nation. Le peuple n’attend pas de vous des discours, mais un geste clair : un rappel d’exigence, un sursaut d’autorité morale, un signe que la justice ne saurait être au service d’aucun intérêt particulier.

La République ne s’abîme pas dans les crises qu’elle traverse, mais dans les injustices qu’elle tolère.
Chaque citoyen qui perd foi dans son juge retire un fil au tissu national. Et quand les fils se rompent, c’est l’idée même de la France qui se défait.

La justice n’est pas la puissance du glaive : c’est la lumière qui guide le peuple.
Si cette lumière vacille, ce n’est pas seulement l’État qui chancelle, c’est la civilisation qu’il représente.

Il faut, Monsieur le Président, que la justice retrouve la transparence de son origine, qu’elle cesse d’être perçue comme un instrument de puissance ou un territoire d’initiés.
Elle doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : la voix claire, droite, fraternelle, d’une nation qui veut comprendre avant de condamner, expliquer avant de punir, et réparer avant d’oublier.

La République se défend par le droit, mais le droit ne tient que par la vérité.
Et la vérité, Monsieur le Président, ne s’achète pas, ne s’arrange pas, ne se tait pas : elle se prouve.

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