Festivals d’été en Tunisie : l’argent public englouti dans des soirées sans contenu culturel

Nizar Jlidi Rédacteur en chef – La Voix des Deux Rives
La saison estivale des festivals s’est ouverte officiellement avec le lancement du Festival de Hammamet, événement de référence aux côtés du Festival international de Carthage. Mais, comme chaque été, le débat revient avec acuité : à quoi servent ces festivals ?
Et surtout, que justifie les milliards de dinars dépensés par l’État, alors que bon nombre de spectacles
notamment étrangers peinent à rentabiliser leur passage ?
Le président Kaïs Saïed, lors d’une récente entrevue avec la ministre de la Culture, a rappelé les principes fondateurs des festivals nationaux. Une piqûre de rappel nécessaire, tant ces principes semblent aujourd’hui oubliés. Depuis les années 1990, le ministère de la Culture s’est progressivement désengagé de la gestion des festivals régionaux, vidant ces derniers de leur dimension culturelle au profit de simples soirées festives localement appelées « r’boukh » sans ligne éditoriale ni exigence artistique. Le théâtre, jadis pierre angulaire des festivals tunisiens, a été relégué aux oubliettes, tout comme les colloques intellectuels, les lectures poétiques et les débats littéraires.
Le cas du Festival de Gabès est emblématique de cette dérive. Autrefois reconnu pour ses rencontres de haut niveau réunissant des figures majeures de la scène littéraire arabe telles que Abdel Rahman El Abnoudi, Hanna Mina, Sonallah Ibrahim, Adonis ou Mohamed Choukri il a été littéralement démantelé.
Ce constat alarmant appelle à une réforme en profondeur de la politique des festivals en Tunisie. Plusieurs axes sont désormais incontournables : redonner sa place au théâtre, introduire une logique de billetterie pour les spectacles à visée commerciale, et réintégrer sous la tutelle directe du ministère les festivals de niche tels que le Festival du malouf à Testour, le Festival symphonique d’El Jem, le Jazz à Tabarka ou encore les Rencontres d’arts plastiques de Mahres.
Autre point névralgique : la prolifération d’associations chargées d’organiser ces festivals. Présentées comme une ouverture sur la société civile, elles servent souvent de paravent à des partis politiques ou à des clans tribaux, en particulier dans l’intérieur du pays. Une situation d’autant plus incohérente que la quasi-totalité des financements provient… du ministère de la Culture lui-même.
En détournant leur vocation originelle, ces festivals sont devenus des fêtes de village déguisées, sans ambition culturelle, sans ligne directrice, et sans retour tangible pour la société. L’hémorragie de fonds publics dans ces « soirées-spectacles » ne peut plus être ignorée. Il est temps d’en finir avec cette politique de l’apparence et du gas
pillage.