Europe et MondialActualitéRéflexions politiques
A la Une

Chronique d’un monde en apnée

COP30 à Belém :

 Chronique d’un monde en apnée

Par Jamel BENJEMIA

La COP30, la trentième réunion de la Conférence des Parties, ne s’ouvre pas comme une cérémonie de plus dans le calendrier des bonnes intentions internationales : elle s’avance comme une scène d’urgence où l’humanité, haletante, interroge son propre pouls.
À Belém, là où les eaux ambrées de l’Amazone coulent comme les dernières paroles d’une mémoire ancienne, s’est ouverte, du 10 au 21 novembre 2025, la COP30. Non pas un sommet éclatant, mais une rencontre presque silencieuse, au bord d’un seuil. Le climat n’est plus un horizon théorique : il est devenu une expérience vécue, mesurable, presque corporelle. On ne parle plus d’avenir ; on observe le présent se déformer.
Belém, moite et bruissante, respire plus qu’elle ne s’impose ; elle témoigne d’un monde qui n’a plus le luxe de se mentir. Sa lumière n’est pas un décor : c’est une vérité. Et cette vérité, c’est que la Terre n’attend plus nos déclarations ; elle agit, avec la patience d’une force qui sait qu’elle nous survivra. Ici, au seuil de la plus grande forêt du monde, se tient une conférence qui ressemble à une confession : non pas celle des coupables, mais celle des lucides, conscients que l’heure n’est plus aux promesses, mais au sursaut.

Une promesse qui vacille

Dix ans ont passé depuis la signature de l’Accord de Paris, et déjà il ressemble à un vœu qu’on aurait gravé sur l’eau.
Les NDC ( Nationally Determined Contributions), ces contributions déterminées au niveau national, devaient être la charpente d’un espoir : chaque pays y inscrit sa part de sacrifice, son effort pour réduire les émissions, transformer l’énergie, réinventer l’économie. Ce mécanisme devait créer une émulation vertueuse, un élan commun d’ambition collective. Mais la musique s’est tue. Les plans arrivent tard, timides, rabotés par la peur du coût électoral ou du ralentissement industriel.

Les chiffres, eux, ne tremblent pas : + 2,3 à 2,5 °C si tout se passe bien ; + 2,8 °C dans la réalité probable ; + 0,1 °C de plus lorsque les États-Unis quitteront définitivement l’Accord. Un dixième de degré n’est rien sur un thermomètre ; c’est un abîme sur une planète. Entre ces décimales se joue la survie de deltas entiers, d’archipels promis à la noyade, de millions de vies qui ne verront plus la même mer ni la même terre.
Le monde ne manque pas d’engagements ; il manque de constance.
On bâtit des objectifs comme on allume des chandelles dans un vent contraire : elles vacillent, elles s’éteignent, on recommence.

La fracture climatique

La géographie de la souffrance climatique recoupe presque à la perfection celle de l’injustice économique.
Au Nord, les pays riches tentent de verdir leurs bilans sans renoncer à la consommation qui les a faits puissants ; au Sud, les nations endettées cherchent simplement à ne pas disparaître.
L’histoire du carbone est une parabole : ceux qui ont bâti leur richesse sur deux siècles d’émissions massives lèguent aujourd’hui la facture à ceux qui n’ont encore que la faim et la poussière.

À Paris, en 2015, les pays développés avaient promis cent milliards de dollars par an — une aumône à l’échelle du désastre. L’argent s’est perdu dans les procédures, dilué dans les crédits recyclés.
Belém demande 1 300 milliards : non pour se venger, mais pour survivre.
Cette somme n’est pas un caprice. C’est la traduction financière de la décence.
Elle permettrait aux États vulnérables de bâtir des digues, de réhabiliter des sols, d’investir dans l’énergie solaire plutôt que dans le charbon qu’ils ne brûlent que par nécessité.
Mais le Nord hésite ; il calcule ; il temporise.

On oublie que la dette écologique ne se rembourse pas en devise : elle se rembourse en temps, et ce temps se rétrécit.
Si l’on ne comble pas cette fracture, la COP30 ne sera pas un sommet, mais un constat de divorce entre deux humanités : l’une qui se protège, l’autre qui encaisse.

Le point incandescent

Au centre de la COP, il y a ce mot qu’on prononce du bout des lèvres, comme s’il portait malheur : « sortie ».
Sortie du pétrole, du gaz, du charbon : la formule a été enfin écrite à Dubaï, en 2023, après trois décennies d’euphémismes.
Elle a donné lieu à des applaudissements éphémères, vite étouffés par les intérêts qu’elle menaçait.

Depuis, le monde a reculé d’un pas.
Le Brésil, hôte de la COP30, vient d’autoriser l’exploration pétrolière au large de l’embouchure de l’Amazone.
Lula, dont l’aura verte séduisait encore les ONG, se heurte à la réalité d’un pays immense, inégalitaire, avide d’emplois et de recettes publiques.
Le pouvoir politique, pris dans la contradiction entre urgence écologique et pression sociale, finit toujours par négocier avec sa conscience.

Mais la question ne relève plus du courage national.
Elle touche à notre ADN collectif : savons-nous renoncer ?
Sommes-nous capables de repenser le progrès autrement que comme l’addition du confort et de la croissance ?
Nous voulons une planète habitable sans changer nos habitudes.
Nous voulons préserver le monde sans cesser de le consommer.
Voilà le cœur incandescent du mensonge : croire qu’une transition énergétique peut se faire sans conversion intérieure.

L’Amazonie, miroir du destin

L’Amazonie n’est pas qu’un espace géographique ; c’est un récit du monde.
Elle incarne la notion même d’équilibre : tout y vit de ce qui meurt, tout s’y régénère de ce qui tombe.
Lorsque l’homme y pénètre avec la logique du profit, il n’y voit qu’une réserve ; lorsqu’il y pénètre avec la conscience du temps, il y trouve une leçon.

La forêt parle lentement.
Elle enseigne la durée, la circulation, l’humilité.
Chaque arbre est une chronique verticale de l’histoire climatique.
Mais elle se meurt, rongée par les incendies volontaires, les pâturages, la déforestation légale.
Sauver l’Amazonie ne signifie pas la mettre sous cloche : cela signifie comprendre que sa destruction équivaut à un suicide différé.

Dans les villages riverains, on voit des enfants jouer dans des eaux qui montent ; leurs rires ont la légèreté d’un peuple qui n’a pas encore mesuré la menace.
La forêt n’accuse pas. Elle observe.
Et son silence est une question adressée à l’humanité : que restera-t-il de nous, lorsque nos fils devront respirer sans elle ?

La phrase qu’on ne peut plus différer

On dit souvent que nous devons « sauver la planète ». C’est une illusion grammaticale. La planète n’a rien demandé et ne demandera rien.
Le climat, ce n’est pas la météo : c’est le fil ténu qui relie nos modes de vie à la continuité du monde.
Belém nous place devant cette vérité nue : nous ne luttons pas pour préserver la Terre, mais pour mériter d’y demeurer.

Et voilà qu’une phrase que l’on croyait fossilisée dans la mémoire politique remonte soudain, non comme une citation, mais comme un coup de griffe : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. »
À l’époque, elle dérangeait ; aujourd’hui, elle accuse.
Elle ne dit plus notre imprudence : elle révèle notre abandon.

La Terre se sauvera sans nous, comme elle s’est remise des météorites et des glaciations.
C’est l’humanité qui s’accroche au chambranle de sa propre maison en flammes.
Et Belém, peut-être, restera dans la mémoire comme le lieu où l’on a enfin cessé de regarder ailleurs : non pour panser, mais pour diagnostiquer une dernière fois ce qui peut encore être sauvé de nous-mêmes.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page