Allemagne : le « catcalling » pourrait bientôt devenir un délit pénal

En Allemagne, le phénomène du harcèlement de rue, connu sous le nom de « catcalling », refait surface sur le plan juridique. Bien que les gestes et propos sexuels non sollicités soient monnaie courante pour de nombreuses femmes, ils ne sont toujours pas explicitement sanctionnés par le droit pénal allemand. Le parti social-démocrate (SPD) souhaite combler cette lacune législative.
Actuellement, le Code pénal allemand (StGB, article 185) sanctionne les insultes portant atteinte à la dignité personnelle, punissables d’une amende ou d’un emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an. Cependant, cette disposition ne couvre pas les compliments déplacés, les sifflements ou les remarques sexuelles non sollicitées, échappant ainsi aux sanctions prévues pour les infractions sexuelles, qui concernent principalement le contact physique non consenti.
Selon Sonja Eichwede, députée SPD, les « propos et gestes verbaux ou non verbaux à connotation sexuelle clairement non désirés » constituent une forme de violence à part entière, impactant lourdement les victimes et les poussant parfois à éviter certains lieux publics. Le ministère de la Justice, dirigé par Stefanie Hubig, étudie actuellement les voies légales possibles pour combler ce vide.
L’opposition conservatrice CDU/CSU, tout en reconnaissant le phénomène, estime que la voie pénale n’est pas forcément la meilleure solution. Selon Susanne Hierl, experte juridique du parti, ces comportements sont certes répugnants, mais un projet de loi pénal n’est pas la réponse idéale.
Le phénomène n’est pas nouveau. Dès 2019, la plateforme « Catcalls of Berlin » avait sensibilisé le public via des inscriptions sur le pavé, et une pétition déposée au Bundestag en 2020 avait recueilli plus de 70 000 signatures demandant la pénalisation de ces propos.
Une étude de 2021 menée par l’Institut criminologique de Basse-Saxe (KFN) a révélé que 40 % des femmes interrogées évitaient certains lieux et 8 % modifiaient leur façon de s’habiller à cause du catcalling. Néanmoins, aucune enquête nationale exhaustive n’existe encore en Allemagne.
Sur le plan juridique, les juges allemands ont historiquement interprété strictement l’insulte. Une phrase à connotation sexuelle adressée à une jeune fille n’avait pas été considérée comme infraction en 2017, alors que des insultes verbales traditionnelles l’étaient.
Le professeur Mohamad El-Ghazi, spécialiste en droit pénal, souligne que le droit pénal doit rester une mesure de dernier recours, plaidant pour un travail éducatif en milieu scolaire et familial. L’Association allemande des femmes juristes (djb) estime que l’élargissement de l’interprétation de l’insulte pourrait permettre de reconnaître légalement les propos ou gestes sexuels non désirés comme des atteintes à la dignité.
Dans l’Union européenne, la situation varie :
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Belgique : le sexisme en lieux publics est sanctionné depuis 2014.
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Portugal : le harcèlement verbal sexuel est puni d’amende ou de prison depuis 2016.
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France, Espagne, Pays-Bas, Royaume-Uni : des cadres juridiques similaires existent ou sont en cours d’adoption (loi britannique adoptée en 2023 mais non encore appliquée).
Le SPD espère présenter une proposition de loi au Bundestag cette session, s’inspirant des expériences de pays voisins. Reste à voir comment l’Allemagne conciliera liberté d’expression, seuils juridiques et protection des victimes pour reconnaître juridiquement l’« insulte sexuelle dans l’espace public ».