Plumes des deux rives

Islam politique : les inquiétudes croissantes des services de renseignement européens

Nizar.jlidi

À travers l’Europe, les agences de sécurité multiplient les mises en garde contre ce qu’elles considèrent comme une dynamique silencieuse mais méthodiquement organisée : l’implantation d’organisations liées à l’islam politique, et en particulier de la confrérie des Frères musulmans.

Selon plusieurs rapports confidentiels, l’objectif poursuivi ne se limite pas à l’exercice d’une influence religieuse. Il s’agit d’un projet politique de long terme visant à remodeler, de l’intérieur, les sociétés européennes.

Réseaux discrets et stratégies d’influence

Contrairement à d’autres mouvances islamistes plus visibles, les Frères musulmans privilégient une action indirecte. Plutôt que d’apparaître sous leur nom, ils s’appuient sur un maillage dense d’associations culturelles, caritatives, éducatives ou sportives. Cette couverture leur permet d’agir dans la durée, d’intégrer le tissu local et d’étendre progressivement leur influence au-delà des seules communautés musulmanes.

Ces structures, souvent perçues comme inoffensives, leur servent à établir des contacts avec des responsables politiques locaux, à se positionner sur des enjeux sociétaux et à diffuser, de manière progressive, un discours ancré dans une idéologie religieuse mais articulé comme un projet social et politique.

Une implantation locale plutôt que l’isolement

Des analyses récentes du Centre international pour les études stratégiques indiquent que la confrérie a réorienté sa stratégie. Il ne s’agit plus de se constituer en communautés fermées, mais d’occuper des positions clés au sein des institutions locales – conseils municipaux, structures associatives subventionnées, comités consultatifs.

Cette intégration stratégique permet d’influencer les politiques locales, de peser sur certaines décisions et de bénéficier d’un ancrage durable.

Vers une “islamisation par capillarité”

Pour plusieurs services de renseignement, la préoccupation ne porte plus uniquement sur les effets démographiques des migrations passées, mais sur la présence d’un plan structuré visant à remodeler l’espace public européen selon une vision politico-religieuse.

Le procédé est décrit comme une transformation graduelle “de la base vers le sommet” : les structures locales façonnent des générations sensibilisées à cette idéologie, qui peuvent ensuite accéder à des positions d’influence plus larges.

En façade, le discours reste modéré et compatible avec les valeurs démocratiques. Mais en interne, des doctrines plus rigoureuses, parfois incompatibles avec les principes républicains et la laïcité, sont transmises aux membres et sympathisants.

Menace idéologique ou risque sécuritaire ?

Si l’Union européenne n’a pas classé la confrérie comme organisation terroriste, plusieurs États membres la considèrent comme une menace structurelle à moyen et long terme.

Les inquiétudes portent moins sur un passage à l’acte violent immédiat que sur la création d’écosystèmes communautaires parallèles, capables à terme de concurrencer, voire de contester, les institutions démocratiques.

Certains analystes n’excluent pas que, dans des contextes particuliers, une partie de ces réseaux puisse recourir à la violence si cela sert leurs objectifs stratégiques, dont la perspective d’un califat islamique figure en arrière-plan idéologique.

Une utilisation paradoxale des ressources européennes

Les services de sécurité soulignent une contradiction : ces organisations utilisent parfois les leviers et financements publics européens pour avancer leur agenda.

Des fonds alloués à des associations caritatives ou culturelles peuvent ainsi, selon certains rapports, servir indirectement à renforcer les capacités d’organisations affiliées aux Frères musulmans.

Des enquêtes de presse ont notamment révélé que l’Union européenne avait soutenu financièrement des structures soupçonnées de liens étroits avec la confrérie, tandis que des financements supplémentaires proviendraient de pays tiers pour la construction de lieux de culte, d’écoles ou de centres communautaires.

L’Italie et la France en première ligne

En Italie, la députée européenne Susanna Ceccardi a récemment dénoncé la participation d’organisations associées aux Frères musulmans à des événements institutionnels de l’UE, évoquant un “cheval de Troie” de l’islam politique dans le contexte des tensions liées à la guerre de Gaza.

En France, la présence de la confrérie remonte à la fin des années 1970. Depuis, elle a tissé un réseau d’associations, de mosquées et de centres éducatifs particulièrement dense dans les grandes métropoles.

Les autorités françaises, qui considèrent cette influence comme contraire aux principes républicains, ont pris ces dernières années des mesures de restriction, incluant la fermeture de structures et le gel d’avoirs.

Une surveillance renforcée

En 2024, Paris a lancé une nouvelle enquête nationale sur les activités des Frères musulmans, dans un contexte de vigilance accrue vis-à-vis de toute tentative d’influence politique, communautaire ou religieuse susceptible de remettre en cause la cohésion sociale.

Les enjeux vont au-delà de la sécurité : c’est l’équilibre même des sociétés européennes, fondé sur la séparation des sphères religieuse et politique, qui est perçu comme en jeu.

 

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