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En Tunisie, une déclaration très grave d’un président d’une association **Quand la société civile dépasse l’Etat**

 

« Nous sommes l’État, car l’État n’est pas ici », affirme Ahmed Abdelmagid Belhadj, président de l’Association de défense des oasis de
Jemna, principal employeur de cette cité de quelque 10 000 âmes.
« Les élections ne changeront rien », a-t-il ajouté en décidant de boycotter les législatives.
A Jemna, cette région porte du désert au sud tunisien à 530 kilomètres de la capitale Tunis, les dattes prennent le dessus et sont beaucoup
plus importantes que les élections.
Pourtant, les habitants de Jemna sont connus pour leur militantisme.En 2011, alors que la Tunisie renverse l’autocrate Zine el-Abidine Ben
Ali, les Jemniens saisissent la palmeraie de 300 hectares et quelque 11 000 arbres, ancien domaine colonial nationalisé en 1964 et loué à
des particuliers. « Ces businessmen payaient 80 dinars pour un hectare alors qu’un palmier rapporte 250 dinars par an ! », croit savoir
Touhami Gacem, membre de l’Association de défense des oasis de Jemna (Adoj), qui a participé à la saisie pacifique des terres. Depuis,
l’Adoj exploite les palmiers sans cadre légal. En 2016, l’État a tenté
un coup de force en gelant les comptes bancaires de l’association.Mais celle-ci a persévéré, soutenue à Jemna et dans toute la Tunisie.
Et pour cause : avec 162 employés, l’Adoj était devenue l’un des plus gros employeurs à Jemna. Et ses bénéfices étaient réinvestis pour le
développement de la ville : dons aux associations, rénovation des écoles, construction d’un souk couvert, achat d’une ambulance, bourses
pour les étudiants…

L’actuel président de la République, Kaïs Saïed, était l’un des soutiens inconditionnels de Jemna. Alors, lorsque ce candidat
indépendant a remporté la présidentielle de 2019, les Jemniens se sont félicités. Ils ont d’ailleurs été près de 90 % à voter pour lui au
second tour. Trois ans plus tard, beaucoup sont déçus.

Le président, qui érige Jemna en modèle, n’est pas parvenu à proposer une loi qui établirait légalement le fonctionnement de l’association.
Un colloque sur les sociétés communautaires aura lieu le 18 décembre,au lendemain du premier tour des législatives anticipées.
« La population fera son choix en connaissance de cause », explique
Tahri pour éventuellement transformer l’association en société communautaire. Un événement plus important que le scrutin national,
puisque lorsqu’on interroge les habitants sur le vote, la plupart parlent de celui du 18 décembre. « Soutien critique du président »,
comme il se présente, Tahri redoute d’ailleurs une forte abstention
pour le scrutin national.

A la maison des jeunes de Jemna, plusieurs animatrices étaient présentes pour proposer des activités de bricolage aux enfants et aux
femmes.
Ces employées se plaignent de la cherté de la vie qui devient de plus en plus difficile avec un salaire très bas qui ne leur permet pas de
joindre les deux bouts, mis à part les pénuries récurrentes.

En effet, la question économique est d’autant plus importante à Jemna que la palmeraie est en péril.
Depuis trois ans, les dattes sont attaquées par l’Oligonychus afrasiaticus, un acarien que les Jemniens appellent communément «
l’araignée », ce qui a baissé les revenues des récoltes de 530 000
Euros depuis quelques années à 177 000 Euros cette année 2022.Ce problème était la cause de licenciement de ¾ des employés
permanents à l’association.
Pour sa part, le président de l’association regrette sa mauvaise gestion : « Nous pensions qu’on aurait toujours de belles récoltes. Si
on avait su, au lieu de tout donner, on aurait gardé la main sur la gestion de certains biens qui nous assureraient des revenus
complémentaires ».
Mais plus qu’à l’araignée ou à leurs erreurs, Ahmed Belhadj en veut à l’État, « qui n’est pas là ».

Avec un grand désespoir, Belhadj a avoué qu’il a encouragé ses frères
à immigrer en France.
De leur côté, les animatrices rencontrées à la maison des jeunes vont boycotter les élections, avouant être obligées de fournir le matériel
avec leur propre argent pour les activités des ateliers.
« Il n’a rien fait en trois ans, si ce n’est fermer l’Assemblée. Mais ça n’apporte pas de pain. Il y a de plus en plus de pauvres », s’est
exprimée une des animatrices tout en regrettant d’avoir voté à Kaies
Saied en 2019.
« La fermeture de l’ARP, il fallait le faire. Pour le reste, il n’a pas pu faire beaucoup de choses, parce qu’il a été piégé », disait une
autre.
Gardant une lueur d’espoir, une autre affirmait : « Si Kaïs Saïed a du soutien à l’Assemblée, il pourra faire quelque chose».

Néanmoins, le Parlement aura, de toute façon, des pouvoirs limités puisque la nouvelle Constitution instaure un régime ultraprésidentiel.
Enfin, les habitants de Kebilli, gouvernorat où se trouve Jemna,auront moins de poids : ils n’éliront que trois députés, contre cinq
dans le Parlement de 2019.

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