Radio Gazelle: Les tentations communautaires et les soupçons de magouille

Née en 1981, l’antenne marseillaise est désormais secouée par les tentations communautaires et les soupçons de magouilles.
Avec ses trois présidents autoproclamés, des soupçons de détournement de fonds publics et des émissions religieuses qui n’échappent pas aux dérapages, la radio est devenue une zone de guerre. Sur l’antenne, dans les bureaux, devant les tribunaux, le religieux le dispute au crapuleux, le communautarisme l’emporte sur l’ambition multiculturelle des origines. Le tout sous le regard impavide des institutions, CSA et représentants de l’Etat en tête.
Pour la première fois, le feuilleton judiciaire de Radio Gazelle connaît un épisode pénal. Le président de l’association qui gère cette radio communautaire, Mustapha Zergour, était renvoyé devant le tribunal correctionnel pour escroquerie et abus de confiance.
“Dans les tribunaux, quand on entend le nom de Radio Gazelle, la première réaction est un soupir, voire pire”. Avocat d’une des parties civiles, Lionel Febbraro résume d’un effet de manche, ce que tout le monde ressent. Support d’une radio communautaire, implantée à Marseille depuis 1981, l’association Rencontre et amitié Radio Gazelle encombre les juridictions […]
Pourtant, à sa création en 1981, elle n’a d’autre vocation que culturelle. L’ambition des fondateurs est de donner la parole aux différentes communautés de la ville, comorienne, maghrébine, sénégalaise, italienne ou corse.
« On est parti de l’idée d’une cité multiculturelle, pluriculturelle, où l’expression des minorités devait exister. On portait aussi l’idée que les immigrés étaient partie intégrante de la société française et pas seulement de passage », se remémore Abobikrine Diop, l’un des premiers dirigeants.
Très vite, la radio devient une référence. Les habitants y entendent la langue et les nouvelles de leur pays d’origine. Saïd Ahamada, député En Marche !, issu de la communauté comorienne, s’en souvient : « Mon père l’écoutait. Et plus tard, lorsque j’ai eu des activités associatives et qu’il y avait des événements à organiser, on était sûr de toucher ceux qu’on voulait avec Radio Gazelle. »
Mais depuis la fin des années 2000, l’antenne a pris une autre tonalité. Désormais, sur 98.0, l’appel à la prière résonne cinq fois par jour et la tranche du matin est consacrée à une émission religieuse. Rien de grave, cela sert surtout aux personnes âgées et aux femmes, balaient d’un revers de main les plus indulgents.
L’imam Ghoul, qui assure désormais la tranche religieuse du début de journée, affiche un curieux profil. Il est propriétaire de trois agences de voyage et organise des pèlerinages à La Mecque, source de juteux profits.
Beaucoup lui reprochent d’utiliser la radio pour faire sa publicité. D’autres mettent en garde sur la conception de la religion qu’il véhicule. « Il pratique un islam populiste. Du coup, il en arrive à avancer des fatwas pires que Daech.
La dérive religieuse se double d’une grave crise de gouvernance. Depuis 2015, trois hommes se livrent une guerre sans merci dans l’espoir de récupérer l’antenne. Tous trois se revendiquent président de l’association Rencontre et amitié, qui gère la radio et détient l’autorisation d’émettre délivrée par le CSA. Il y a le président du 22 mai 2015, celui du 28 mai 2015 et celui du 10 août 2015. Chacun brandit un PV d’assemblée générale l’ayant fait roi à la place des autres, chacun brandit une décision de justice en sa faveur.
Le premier s’appelle Miloud Boualem, président du Modem départemental. Il affiche sa volonté de rapprocher les communautés, d’ouvrir Radio Gazelle à toutes les religions. En quête de notabilité, il assure n’être là « ni pour le pouvoir, ni pour l’argent » et se dit « prêt à se retirer dès que le sac de noeuds sera démêlé ».
Le deuxième est Mustapha Zergour, président de fait, qui occupe les locaux de la radio. Aveugle, dialysé plusieurs fois par semaine, il est proche de Jacques Soncin, ancien de l’extrême gauche marseillaise. Il affirme être président de Gazelle depuis dix-huit ans, avant de se reprendre : « Non, pas président, responsable. » Les autres lui reprochent d’avoir communautarisé la radio.
Le troisième, enfin, Otmane Aziz, a eu des engagements politiques chez les Verts et au Modem avant de s’en éloigner – d’en être éloigné, disent les mauvaises langues. Trésorier de Radio Gazelle, il a porté plainte contre Mustapha Zergour sur des questions financières et se présente comme le chevalier blanc, soucieux de la bonne gestion de la radio.
L’impasse est totale et les pouvoirs publics détournent pudiquement le regard. En juillet 2017, par exemple, alors que gouvernance de la radio était déjà opaque, le CSA lui a renouvelé pour cinq ans le 98.0.
Peur de réveiller des accusations de racisme en supprimant la fréquence à la seule radio locale s’adressant à un public maghrébin et musulman ? Manque de moyens ou de volonté pour faire écouter et traduire des programmes pour l’essentiel en arabe ? Crainte d’ouvrir la porte à plus extrême encore en fermant un canal de diffusion précieux en ces temps agités ? Un peu de tout cela, sans doute.
L’enquête sur les finances de Radio Gazelle obligera peut-être les uns et les autres à sortir de leur réserve. Depuis plusieurs mois, la police judiciaire de Marseille tente d’y voir clair dans les comptes de l’association…
Feuilleton qui risque de faire couler encore de l’encre…