Plumes des deux rives

Ukraine – Russie : de sommet en sommet, l’Europe reste au sous-sol

 

Entre la mise en scène glaciale d’Anchorage et la photo de famille de Washington, la guerre d’Ukraine n’a pas changé de logique : Moscou impose ses conditions, Trump se rêve en prix Nobel, et le Vieux Continent enchaîne les incantations sans stratégie. Les divisions internes et la dépendance militaire rappellent que l’Europe parle haut… mais décide peu.

Le sommet voulu comme antidote à l’humiliation d’Anchorage n’aura accouché que d’une photo. Derrière l’unité affichée, l’absence polonaise, les divisions franco-italiennes et la dépendance vis-à-vis de Washington révèlent une constante : l’Europe ne tient pas les clés du jeu. La Russie, elle, conserve l’initiative et attend que Trump lui offre l’accord qu’elle convoite.

L’image restera dans les archives : Volodymyr Zelensky assis dans le Bureau ovale, encadré par Emmanuel Macron, Friedrich Merz, Keir Starmer, Giorgia Meloni, Alexander Stubb, Ursula von der Leyen et Mark Rutte. Une photo de famille comme les diplomaties les aiment, avec Donald Trump en maître de cérémonie. À première vue, l’Occident se serre les coudes face à Moscou. Mais derrière la mise en scène du 18 août, la réalité est plus crue : un théâtre de l’unité où chaque acteur récite son rôle, sans masquer vraiment les fissures qui fragilisent la pièce.

La première surprise fut l’absence de Varsovie. La Pologne, pourtant la plus ardente défenseure de l’Ukraine depuis 2022, n’était pas autour de la table. Aucun malentendu protocolaire : Varsovie savait que l’invitation existait, mais a décliné au dernier moment. Officiellement, le gouvernement polonais explique vouloir préserver un canal direct avec Washington, sans se diluer dans une délégation élargie. Officieusement, l’ombre d’un désaccord plane : les Polonais, moteurs de l’effort militaire européen, n’ont pas apprécié que la rencontre d’Anchorage, trois jours plus tôt, ait pu laisser croire à une négociation russo-américaine sans L’Ukraine ni l’Europe. Pour un pays qui se vit en bouclier de l’Europe de l’Est, l’absence saute aux yeux.

Les Européens à Washington : l’unité en vitrine, les fractures en coulisse

Le casting européen, lui, avait été peaufiné à l’excès. Paris et Berlin pour le poids politique, Londres pour l’équilibre transatlantique, Rome pour donner corps au discours « méditerranéen » – comprendre, représenter la droite européenne –, Helsinki pour l’expérience directe du voisinage russe. Ursula von der Leyen et Mark Rutte complétaient le dispositif, offrant à Trump un interlocuteur OTAN et un visage « européen » plus institutionnel. Le tout coordonné pour éviter le chaos des sommets précédents, où chacun improvisait. Cette fois, les dirigeants avaient révisé la même partition : louanges pour Trump, promesse d’unité, vocabulaire calibré. On ne dit plus « cessez-le-feu », trop irritant pour le président américain, mais « arrêter les massacres ». On ne parle plus d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, mais d’une vague « présence » militaire occidentale, ou encore de « garanties de sécurité » américaines.

Néanmoins, Trump, d’ordinaire prompt à humilier ses interlocuteurs européens, s’est montré presque chaleureux. Compliments à Macron, amabilités pour Starmer, plaisanteries sur le bronzage de Merz. À voir le sourire crispé des chancelleries, on devine le soulagement : le président américain n’a pas renvoyé Zelensky dans les cordes comme en février, lorsqu’il l’avait publiquement rabroué. À Washington, le président ukrainien portait un costume sombre, pas son treillis. Il avait même remis à Melania Trump une lettre de son épouse, détail soigneusement calculé pour adoucir l’atmosphère, ou pour imiter Trump face à Poutine. L’opération séduction a, à court terme, rempli son objectif : protéger Zelensky de l’humiliation.

Mais que reste-t-il au-delà de la photo et des formules ? Des promesses floues. Trump a répété que « l’Ukraine bénéficierait d’une très bonne protection », sans en détailler la forme ni l’étendue. Les Européens ont applaudi, mais chacun sait que ladite protection n’a pas la valeur de l’article 5 de l’OTAN. Il s’agira, au mieux, d’un patchwork de garanties bilatérales ou multilatérales, impossible à mettre en œuvre. Zelensky, lui, a insisté sur le fait que la sécurité ne peut reposer sur des mots, mais sur des accords écrits. Toutefois, Donald Trump préfère la flexibilité et se garde d’annoncer des engagements contraignants.

C’est là que les contradictions européennes réapparaissent. La France garde sa ligne : soutien ferme à Kiev, refus de tout abandon territorial, et ouverture à un rôle plus affirmé des Européens, y compris militaire. Mais Paris reste isolé. En Allemagne, l’opinion publique est partagée presque à parts égales sur l’idée d’une présence militaire en Ukraine. En Italie, Giorgia Meloni reste muette, laissant Matteo Salvini occuper le terrain avec ses saillies anti-Macron et anti-guerre. À Budapest, Viktor Orbán joue son rôle habituel : relais de Moscou et relais de Trump, prêt à plaider pour des concessions au nom d’un retour à la paix. Quant à Helsinki, malgré son volontarisme, le poids militaire reste limité.

En clair, le 18 août a confirmé une vérité : l’Europe, même coordonnée dans ses gestes et ses mots, ne pèse pas sans Washington. La réunion fut utile pour la symbolique, nécessaire pour protéger Zelensky, mais incapable de dessiner une stratégie autonome. Derrière les sourires, l’ombre d’Anchorage planait encore. Trois jours plus tôt, Trump et Poutine se faisaient face en Alaska, dans un décor de parade militaire, sans Kiev ni Européens à la table. Rien de concret n’en est sorti, mais la démonstration était claire : Moscou et Washington s’arrogent le droit de discuter du futur de l’Ukraine. Washington, le 18, fut une tentative de corriger cette image. Tentative réussie sur la photo, moins sur le fond, même la presse américaine reste divisée sur le bilan.

Car la Russie, elle, avance ses pions. Pendant que Trump flatte ses partenaires européens, Lavrov accuse les Etats de l’UE de « bloquer l’accord ». Poutine, de son côté, déclare « ne pas reconnaître Zelensky comme président légitime ». Et à Minsk, Loukachenko raconte, le 22 août, que Moscou aurait pu frapper le président ukrainien mais s’en est abstenu. Un récit qui sonne comme une mise en garde : le Kremlin décide du tempo, l’Occident subit.

La conclusion de cette première séquence est relativement claire : l’Europe joue l’unité, mais elle reste divisée dans ses tripes. Trump se pose en arbitre, mais ne donne rien de concret. Et l’Ukraine, malgré les photos et les formules, demeure seule face à une Russie qui tient les cartes du rapport de force.

Moscou contre-attaque diplomatiquement et stratégiquement

Pendant que Washington affichait sa mise en scène d’unité, Poutine envoyait ses propres messages. Pas par hasard, mais par une succession de signaux calibrés qui rappellent que la Russie conserve l’initiative – sur le terrain militaire comme dans le champ diplomatique.

Le plus spectaculaire est venu de Minsk. Le 22 août, Alexandre Loukachenko a raconté que son pays avait eu « l’opportunité de bombarder » la position où se trouvait Volodymyr Zelensky. Et que Vladimir Poutine avait opposé son veto. L’histoire est invérifiable (bien que crédible), mais sa fonction est limpide : rappeler que Moscou maîtrise l’escalade, et qu’il choisit quand et comment frapper. Un avertissement voilé : si le Kremlin voulait éliminer le président ukrainien, il en aurait déjà eu les moyens. En renonçant, Poutine se donne l’image du joueur patient, qui préfère la pression continue aux coups fatals.

Dans la foulée, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a haussé le ton. Selon lui, « certains Etats occidentaux cherchent à bloquer » un accord que les Etats-Unis et la Russie pourraient sceller. Cible désignée : les capitales les plus intransigeantes – Paris, Varsovie, Helsinki. Lavrov accuse aussi Zelensky de poser des « préconditions irréalistes » à une éventuelle rencontre avec Poutine. En d’autres termes, Moscou ne veut pas d’un dialogue triangulaire équilibré, mais d’un tête-à-tête avec Washington.

La stratégie russe se lit dans ces détails : ignorer Kiev, contourner l’Europe, concentrer l’interlocution sur Trump. D’ailleurs, le président russe a tranché publiquement : « Zelensky n’est plus un leader légitime ». Déclaration brutale, mais efficace. Elle retire à l’Ukraine son principal représentant et conditionne toute négociation future à une validation américaine. Aux yeux de Moscou, la paix se discute entre grandes puissances, pas avec une présidence contestée (même au sein de l’Ukraine).

Pendant ce temps, la machine militaire continue. Malgré les pertes accumulées depuis 2022, la Russie a réussi à maintenir un rythme offensif qui pèse lourd sur Kiev. Les frappes ciblent les infrastructures énergétiques, les stocks d’armement et les villes de l’Est. L’objectif n’est pas seulement territorial : il s’agit d’épuiser l’Ukraine et de convaincre ses soutiens que le coût d’une guerre prolongée est insoutenable. Dans cette logique, chaque missile qui tombe est aussi un argument de négociation.

À Washington, Donald Trump a réaffirmé son refus d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Un cadeau symbolique à Moscou. En échange, il a promis une « protection » américaine, sans cesse décrite comme « très bonne », mais jamais définie. Pour le Kremlin, cette ambiguïté est une aubaine : elle laisse la porte ouverte à un arrangement où l’Ukraine deviendrait une sorte de zone tampon, protégée par des garanties floues mais privée d’alliance militaire contraignante. Exactement ce que réclame Moscou depuis le début de son opération militaire.

Le paradoxe est là : en jouant le marchandage avec Trump, la Russie obtient déjà des concessions, sans avoir donné quoi que ce soit en retour. Pas de cessez-le-feu, pas de retrait, pas de libération de prisonniers. Simplement l’assurance que l’OTAN reste fermée à Kiev, et que les négociations, si elles avancent, se feront dans un format qui lui est favorable. Dans ce contexte, l’Europe paraît encore plus marginalisée. L’unité affichée à Washington est vite relativisée par la réalité : Macron peut tonner, Merz peut tempérer, Stubb peut rappeler son expérience frontalière… Mais aucun d’eux n’a la capacité de contraindre Moscou. Ni par les armes, ni par la diplomatie. Et chaque déclaration russe le rappelle : l’interlocuteur unique, c’est la Maison-Blanche.

C’est d’ailleurs là que se dessine le prochain acte. Trump a évoqué la possibilité d’un sommet trilatéral avec Poutine et Zelensky. Moscou, officiellement, n’écarte pas l’idée. Mais les conditions sont déjà posées : l’Ukraine n’entre pas dans l’OTAN, les territoires occupés ne sont pas restitués, et Zelensky n’est pas reconnu comme président légitime.

Dans le même temps, la Russie cultive son image de résilience. L’économie, loin de s’effondrer sous les sanctions, affiche des chiffres de croissance, tirés par l’énergie, les exportations et le réarmement. Moscou se montre capable d’autarcie relative, assez pour tenir la distance. Chaque mois qui passe affaiblit un peu plus la patience des opinions publiques européennes, divisées entre soutien à Kiev et tentation du compromis. Ainsi, tandis que Washington se rassure en multipliant les discours contradictoires, le Kremlin avance une stratégie simple : parler aux Américains, ignorer les Européens, et user Kiev jusqu’à ce que la lassitude fasse le reste. Une logique d’attrition diplomatique et militaire, où la Russie garde la main et dicte le tempo.

Bilan provisoire : qui profite vraiment de la diplomatie embouteillée ?

Dix jours après Anchorage et Washington, la situation est plus lisible qu’il n’y paraît. Les sommets ont montré une vitrine de dialogue intra-occidental, mais la mécanique réelle de la guerre et de la diplomatie continue d’obéir à d’autres règles. Si les négociations patinent, une certitude s’impose : le statu quo actuel sert davantage les intérêts de Moscou que ceux de Kiev ou de l’Europe.

Car l’Ukraine reste dans l’étau. Sans armes américaines, Zelensky ne peut espérer aucun progrès militaire – à vrai dire, même avec le soutien occidental, il perd la guerre. Ses appels à des garanties écrites, comparables à l’article 5 de l’OTAN, se heurtent à l’ambiguïté volontaire de Trump. L’Europe, divisée, ne peut combler ce vide. L’Allemagne, colonne vertébrale de l’Union, affiche une opinion publique fracturée : 49 % favorables à une présence militaire européenne en Ukraine, 45 % hostiles. L’Italie voit son vice-premier ministre Matteo Salvini torpiller Macron par des sorties moqueuses, pendant que Giorgia Meloni garde le silence. La Hongrie, sous Orbán, plaide pour des concessions rapides. Autrement dit, chaque projet d’engagement accru — qu’il soit militaire ou financier — se heurte à une opposition politique et sociale.

Cette réalité affaiblit la position française. Paris garde une ligne ferme, cohérente, presque respectable… mais qui sonne isolée dans le concert européen. Macron peut insister sur « l’autonomie stratégique », mais sans consensus continental et sans moyens industriels massifs, cette autonomie reste un slogan. Même la Finlande et la Pologne, pourtant plus proches de Paris dans la fermeté, se retrouvent marginalisées par leur absence lors de la rencontre du 18.

En face, la Russie déroule son jeu. Loukachenko a livré son anecdote : Poutine aurait refusé une frappe sur Zelensky. Vrai ou non, l’histoire illustre une chose : Moscou se réserve la faculté d’escalader à tout moment. Lavrov accuse les Européens de bloquer la paix, Poutine dénie toute légitimité à Zelensky. En résumé, la Russie ne négociera pas avec Kiev. Elle attend que Washington impose un compromis, et s’offre même le luxe d’afficher une patience stratégique.

Ce rapport de force a une conséquence directe : si un accord de paix survient, Moscou part déjà en position de force. Trump, lui, pourrait en tirer un bénéfice immédiat. Le président américain se rêve en « faiseur de paix » — une image qui flatterait son électorat et lui permettrait de briguer le rôle de médiateur historique. À la clé, une récompense symbolique, peut-être un prix Nobel, et surtout un capital politique à exploiter en interne. Pour Zelensky, en revanche, un tel accord risquerait de ressembler à une reddition maquillée, imposée par les grandes puissances.

Et si aucun accord n’est trouvé ? La Russie gagne encore. Chaque mois d’enlisement use l’économie européenne, accentue sa dépendance et entretient la rente russe. Car Moscou a prouvé une incroyable résilience : malgré les sanctions, les industries de substitution se multiplient, les exportations se réorientent vers l’Asie, et la population ne semble pas vaciller. L’autarcie est devenue un argument de puissance : l’Occident sanctionne, la Russie s’adapte.

Dans ce contexte, les seuls vrais gagnants à court terme sont les deux grands vendeurs d’armes de la planète : les Etats-Unis et la Russie. L’un finance l’effort ukrainien, l’autre nourrit son armée, et les deux exportent massivement leur matériel. Les perdants sont évidents : l’Ukraine, qui s’épuise, et l’Europe, qui dépend toujours plus de la volonté américaine tout en se divisant sur la ligne à suivre.

Pour les populations, enfin, l’issue de cette séquence est double. Si la paix survient, même fragile, ce seront les marchés mondiaux qui applaudiront. Une détente sur les prix de l’énergie soulagerait l’Europe, et un retour partiel des céréales ukrainiennes apaiserait l’Afrique. Si la guerre s’enlise, les mêmes paieront la facture : factures énergétiques, instabilité alimentaire, et incertitude stratégique prolongée.

Ainsi se dessine un constat pertinent : Washington et Moscou gardent les clés, Trump et Poutine avancent leurs pions, et l’Europe se débat dans ses contradictions. Anchorage a rappelé que l’Ukraine pouvait être exclue du jeu. Washington a tenté de corriger l’image, mais n’a offert que des promesses sans garanties. Entre les deux, une vérité : tant que l’Europe ne saura pas agir autrement qu’en suppliante, le sort de Kiev se décidera ailleurs. A vrai dire, pourquoi pas ? Car en attendant de vérifier la véracité sur la Bugatti d’Olena Zelensky, la presse turque informe que des proches du président ukrainien détournent 50 millions de dollars par mois vers l’étranger. En tout cas, les manifestations contre Zelensky se multiplient en Ukraine, et les dirigeants européens chercheraient déjà son remplaçant, afin de recentrer les pourparlers.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page