L’islam politique sous surveillance : une inquiétude grandissante des services de renseignement européens

De Berlin à Paris, en passant par Rome ou Bruxelles, les services de renseignement européens tirent la sonnette d’alarme. Face à la montée en puissance des mouvements islamistes à visée politique, notamment celui des Frères musulmans, une crainte s’installe : celle de voir se constituer progressivement des sociétés parallèles, structurées autour d’un projet religieux, mais orientées par une vision politique de long terme.
Des structures discrètes aux intentions affirmées
Le mouvement des Frères musulmans avance rarement à visage découvert. Il tisse sa toile à travers une multitude d’organisations culturelles, éducatives ou humanitaires, qui lui servent de relais dans le paysage associatif européen. En utilisant cette stratégie du « masque associatif », le mouvement parvient à s’ancrer localement, tout en échappant en grande partie à la surveillance directe des autorités.
Les services de sécurité européens évoquent une stratégie patiente et méthodique : celle d’un maillage diffus, mais rigoureusement structuré, qui vise à gagner de l’influence dans les rouages de la société, y compris dans les cercles politiques et institutionnels.
Un ancrage local soigneusement ciblé
Les Frères musulmans ne cherchent plus seulement à se regrouper entre eux ou à renforcer un communautarisme classique. Leur objectif s’oriente désormais vers l’intégration ciblée dans les institutions locales : conseils municipaux, associations de quartier, dispositifs sociaux, etc.
Selon un rapport du Centre international pour les études stratégiques, cette stratégie d’implantation se fait « par le bas », en investissant d’abord les territoires, avant de viser les sphères plus centrales.
Une présence qui dépasse la simple foi
Les renseignements européens ne perçoivent plus ces dynamiques comme une simple expression religieuse. Au contraire, ils y voient une entreprise de transformation sociétale, menée au nom de l’islam, mais avec des visées politiques. Le mouvement propose une lecture conservatrice de la religion, en opposition aux fondements des sociétés laïques et pluralistes.
Un article publié par le journal Israel Hayom évoque clairement un projet de reconfiguration des sociétés européennesselon les valeurs d’un islam politique structuré, qui rejette l’universalité des droits au profit d’une hiérarchie normative inspirée de la charia.
L’idéologie plutôt que la violence, pour l’instant
Dans la plupart des États européens, les Frères musulmans ne sont pas considérés comme un groupe terroriste. Pourtant, de nombreux services de sécurité les classent parmi les acteurs les plus préoccupants sur le plan idéologique.
Ce ne sont pas les actions violentes qui inquiètent en premier lieu, mais bien la capacité du mouvement à influencer les esprits, à façonner une contre-société, et à brouiller les repères démocratiques.
Certains documents classifiés mentionnent la possibilité d’un recours à la violence comme levier d’appoint, dans l’éventualité où les moyens pacifiques ne suffiraient plus à faire progresser leurs objectifs.
Des financements controversés
Une autre source d’inquiétude provient des ressources financières. Le mouvement, tout en critiquant les valeurs occidentales, sait exploiter les mécanismes démocratiques pour obtenir des subventions publiques. À ce titre, l’Union européenne aurait alloué plusieurs dizaines de millions d’euros à des organisations soupçonnées de proximité idéologique avec la confrérie, comme Islamic Relief Worldwide.
Par ailleurs, plusieurs pays extérieurs à l’UE participeraient à ce financement, notamment pour soutenir des projets comme la construction de mosquées, l’ouverture d’écoles ou la création de centres culturels. Ces flux financiers renforcent, selon les services, un processus d’enracinement durable du projet islamiste politique en Europe.
Un cas emblématique : l’Italie
En Italie, l’inquiétude est montée d’un cran depuis le conflit à Gaza. Le journal Il Giornale parle d’un véritable « cheval de Troie idéologique », qui se manifeste à travers des mobilisations pro-palestiniennes orchestrées en partie par des groupes affiliés à l’islam politique.
La députée européenne Susanna Ceccardi a publiquement dénoncé la participation de FEMYSO une fédération de jeunesse musulmane à un événement officiel du Parlement européen à Strasbourg. Elle accuse l’organisation d’être un relai direct des Frères musulmans, agissant sous une apparence citoyenne pour mieux faire avancer un agenda politique radical.
En France, une présence installée et surveillée
En France, les services de renseignement suivent de très près les activités des Frères musulmans depuis plusieurs décennies. Le mouvement s’est structuré dès les années 1980 autour de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France), aujourd’hui rebaptisée Musulmans de France.
Le réseau qu’ils ont tissé est dense : mosquées, centres éducatifs, associations caritatives et organisations communautaires couvrent désormais une large partie du territoire. Paris, Lyon, Marseille figurent parmi les principales zones d’implantation.
En 2021, face aux signes de radicalisation et à des tentatives d’ingérence dans la vie publique, le gouvernement français a pris des mesures fermes : fermetures d’associations, gels de comptes bancaires, enquêtes financières et administratives. Ces actions ont été renforcées en 2024 par une nouvelle campagne d’investigation sur les ramifications idéologiques du mouvement dans la société.
Les services français craignent également une tentative de mainmise sur la représentation musulmane, notamment à travers des ONG habilitées à dialoguer avec l’État. Ce phénomène, selon eux, permettrait aux Frères musulmans de pénétrer les structures de médiation républicaine pour en détourner progressivement les objectifs.
Une fracture en construction ?
Pour les spécialistes du renseignement, le danger ne réside pas uniquement dans ce qui est visible. Le véritable risque serait la consolidation d’un modèle communautaire autonome, qui rejette la mixité, l’égalité femmes-hommes, la liberté d’expression ou encore la laïcité.
En somme, un projet incompatible avec les valeurs démocratiques, mais capable de se déployer en douceur, sans confrontation directe.
Cette stratégie de transformation lente, discrète mais déterminée, constitue un enjeu majeur pour l’avenir du pacte républicain.
Les autorités s’interrogent désormais : comment garantir la liberté de croyance tout en empêchant qu’elle ne devienne le cheval de bataille d’une idéologie qui sape les fondements mêmes de la démocratie ?