Le Yémen : entre crises internes et tensions géopolitiques

Nizar Jlidi journaliste et analyste politique
Plongé dans l’instabilité depuis plus d’une décennie, le Yémen fait face à une crise profonde où s’entrelacent guerre, effondrement des services essentiels et enjeux stratégiques internationaux. Tandis que la population endure au quotidien la précarité et une crise énergétique paralysante, le conflit s’étend bien au-delà des frontières. Avec les attaques houthis en mer Rouge et au détroit de Bab el-Mandeb, l’un des axes majeurs du commerce mondial est menacé, faisant grimper les coûts et attisant les tensions régionales.
Alors que la communauté internationale peine à contenir l’escalade, certains acteurs, notamment les Émirats arabes unis, tentent d’apporter des solutions concrètes, notamment dans le domaine énergétique. Mais entre instabilité politique, tensions militaires et jeux d’influence, le Yémen peut-il encore espérer un retour à la stabilité, ou restera-t-il un foyer de crises aux répercussions mondiales ?
Le Yémen, prisonnier d’une spirale de crises : de la pauvreté aux tensions en mer Rouge
Le Yémen n’est pas seulement un pays ravagé par un conflit interne, mais une plaie ouverte au cœur du Moyen-Orient, saignée à vif depuis le « printemps arabe » de 2011. Depuis lors, il est devenu un champ de bataille pour des rivalités géopolitiques complexes, notamment avec les Houthis, soutenus par l’Iran, qui intensifient leurs attaques en mer Rouge et dans le détroit de Bab el-Mandeb.
Cette crise, où l’effondrement des services essentiels se mêle à des menaces économiques globales, met en lumière la fragilité des équilibres régionaux. Cependant, des efforts humanitaires et de développement, portés par certains pays du Golfe, tentent d’atténuer la catastrophe en adoptant une approche pragmatique, au-delà des seules considérations politiques.
Crise de l’électricité : un fardeau écrasant pour les Yéménites
À l’intérieur du pays, les Yéménites subissent un effondrement total des services publics, et l’électricité est devenue un luxe rare. Un rapport d’Al Jazeera Net du 11 février 2025 documente des manifestations de colère, mais certains estiment que la couverture médiatique liée aux Frères musulmans exploite cette souffrance pour attiser les tensions politiques. Cette stratégie, suivie par ce courant depuis bien avant le « printemps arabe », a selon de nombreux observateurs contribué directement au chaos et aux crises qui frappent le Yémen et d’autres pays arabes depuis des années.
La Banque mondiale affirme que « le manque d’énergie paralyse le développement » au Yémen. Dans ce contexte, des initiatives émergent, notamment à travers des projets d’énergies renouvelables sur la côte ouest, à Aden deuxième ville du pays et sur l’île de Socotra. Financé et mis en œuvre par les Émirats arabes unis, ce programme vise à électrifier certaines régions et à soutenir des infrastructures essentielles, telles que les hôpitaux. S’appuyant sur les potentialités de l’énergie solaire, évoquées dès 2016 par Abdelaziz Dayer dans The New Humanitarian, ce projet illustre une démarche pragmatique, loin des discours creux.
Les attaques des Houthis : un coup dur pour l’économie et le commerce mondial
La crise yéménite dépasse largement ses frontières. Les attaques des Houthis contre les navires en mer Rouge et dans le détroit de Bab el-Mandeb un passage stratégique par lequel transite 10 % du commerce mondial et près de 4,8 millions de barils de pétrole par jour menacent gravement la stabilité économique mondiale.
Un rapport de l’Agence du renseignement de la défense américaine de juin 2024 révèle que « ces attaques ont affecté les intérêts de 65 pays et de 29 grandes entreprises de transport et d’énergie », provoquant une hausse des coûts d’assurance et une réticence accrue des marins à opérer dans cette zone.
Le Dr Mamdouh Salama, expert en pétrole mondial, déclarait à BBC Arabic le 14 décembre 2023 : « Le détroit de Bab el-Mandeb et le canal de Suez sont des passages vitaux pour le transport du pétrole. Toute perturbation augmente les coûts et influe sur les prix de l’énergie à l’échelle mondiale. »
Sur le plan local, ces attaques contre les infrastructures pétrolières et portuaires aggravent la crise économique du Yémen, fortement dépendant de ses exportations de pétrole. Un rapport du Centre d’études stratégiques de Sanaa, en janvier 2024, avertit que « les tensions en mer Rouge menacent l’avenir économique du Yémen », avec des revenus gouvernementaux en chute libre et une crise humanitaire qui s’intensifie.
Réactions locales et internationales : alertes et appels à l’action
Les Nations unies ont exprimé leur profonde inquiétude. Jean Hoffmann, de la CNUCED, déclarait en décembre 2023 que « ces attaques compliquent davantage le commerce mondial ». En réponse, Washington a mené en 2024 une campagne de frappes aériennes et constitué une coalition dissuasive.
Au niveau national, le gouvernement yéménite légitime considère les Houthis comme une menace directe à la sécurité nationale. Pourtant, le défi est bien plus vaste.
Un rôle clé dans les projets énergétiques
Dans ce contexte, les Émirats arabes unis se distinguent comme un partenaire stratégique engagé dans l’atténuation de la crise via des projets énergétiques ambitieux sur la côte ouest, à Aden et Socotra. Financé et entièrement mis en œuvre par Abou Dhabi, ce programme comprend des centrales électriques modernes et des initiatives en énergies renouvelables.
Un rapport de Trends Research & Advisory, publié en janvier 2025, salue « l’engagement des Émirats dans le soutien à la stabilité du Yémen », rappelant leur rôle clé dans l’opération Al-Rumh al-Dhahabi (la Lance d’Or) pour libérer la côte ouest en 2017.
L’expert en énergie Abdelaziz Dayer, directeur de Dome Commercial, déclarait à The New Humanitarian en juin 2016 : « Le Yémen possède un énorme potentiel en énergie solaire et éolienne, notamment sur la côte ouest. » Les Émirats exploitent cette ressource intelligemment, non seulement pour fournir de l’électricité, mais aussi pour stimuler l’économie locale en créant des emplois et en renforçant les infrastructures, offrant ainsi un modèle de coopération régionale constructive.
Entre chaos et initiatives humanitaires
Le Yémen ne se réduit pas à une crise interne ; il est un nœud géopolitique révélateur des contradictions régionales. Soutenus par l’Iran, les Houthis misent sur le chaos comme levier stratégique, tandis que les initiatives humanitaires comme celles approvisionnant en électricité les hôpitaux d’Aden ou éclairant les foyers de Socotra grâce aux énergies propres démontrent qu’une stabilité reste possible, à condition d’un travail rigoureux sur le terrain, loin des effets d’annonce.
Un rapport de Trends Research & Advisory (janvier 2025) qualifie ces efforts d’« engagement régional discret », même s’ils demeurent encore une goutte d’eau face aux immenses défis du pays.
Le printemps arabe et la chute du Yémen dans l’anarchie
La crise yéménite a débuté avec la vague du « printemps arabe » en février 2011, lorsque des manifestations populaires ont éclaté pour exiger la chute du régime. Initialement pacifiques, ces protestations ont dégénéré en affrontements sanglants entre partisans et opposants du gouvernement, amplifiés par des divisions tribales et militaires.
Un rapport de l’International Crisis Group en 2011 qualifiait la situation de « démantèlement progressif de l’État yéménite », soulignant que la pauvreté et le chômage étaient des moteurs clés de ces troubles.
Profitant du vide politique, les Houthis milice chiite soutenue par l’Iran ont étendu leur influence depuis leur bastion de Saada, au nord, exploitant la faiblesse du gouvernement central et les divisions militaires. En septembre 2014, ils ont pris le contrôle de Sanaa, forçant le président Hadi à fuir vers Aden puis l’Arabie saoudite. Ce coup de force, officialisé par une « déclaration constitutionnelle » en février 2015, a mis fin à tout espoir de stabilité politique.
De la montagne à la mer : une mutation militaire inquiétante
En prenant le contrôle de la côte ouest, y compris le port stratégique d’al-Hodeida, les Houthis ont développé une capacité navale avec le soutien iranien, utilisant missiles antinavires et drones. Le Centre d’études de Sanaa notait en janvier 2024 que « les Houthis sont passés du statut de guérilla de montagne à une force maritime menaçant la navigation mondiale ».
Depuis novembre 2023, leurs attaques ont visé des dizaines de navires, affirmant interdire le passage aux navires liés à Israël.
Le Yémen est à un carrefour critique, où crises internes et tensions maritimes s’entremêlent. Les initiatives positives existent, mais suffiront-elles face à des défis aussi vastes ?
La réponse repose sur une coopération internationale et locale élargie pour sauver le pays du chaos.