La Nouvelle Syrie : Une Plateforme Régionale du Terrorisme sous Influence Turco-Qatarie ?
Nizar Jlidi, journaliste et analyste politique

Depuis la chute spectaculaire du régime de Bachar al-Assad en décembre 2024, la Syrie est entrée dans une phase de transformation radicale dont les conséquences dépassent largement ses frontières. Contrôlée désormais par une coalition dominée par Hayat Tahrir al-Cham (HTS), une faction longtemps identifiée au djihadisme salafiste, la nouvelle donne syrienne soulève des interrogations majeures sur l’équilibre régional, la sécurité internationale, ainsi que sur les ambitions géopolitiques de puissances externes, en particulier la Turquie et le Qatar.
Une prise de pouvoir contestée et idéologiquement inquiétante
Le renversement d’Assad a conduit à la prise de contrôle de la capitale et des principales villes syriennes par HTS, avec à sa tête Ahmad al-Sharaa, alias Abu Mohammad al-Joulani, ancien leader du Front al-Nosra. Ce dernier, désormais président autoproclamé de la République syrienne, incarne la continuité d’un projet djihadiste radical sous couvert d’une légitimité politique nouvellement acquise. Sous son autorité, un gouvernement composé de figures proches de l’idéologie salafiste rigoriste a été mis en place, renforçant l’impression d’une Syrie désormais sous influence d’un courant extrémiste dont l’objectif est l’instauration d’une théocratie basée sur une lecture rigoriste et intransigeante de la charia.
Le rôle central de la Turquie et du Qatar dans l’ascension de HTS
L’ascension fulgurante de HTS n’aurait pu être possible sans le soutien déterminant d’Ankara et Doha, qui ont adopté une stratégie assumée de parrainage politique, militaire et financier. Abandonnant toute réserve, la Turquie, sous la direction d’Erdoğan, s’est imposée comme le principal artisan du nouvel ordre syrien, réactivant ses réseaux d’influence et ses alliances régionales. Parallèlement, le Qatar a apporté un appui logistique et financier conséquent, confortant ainsi la capacité opérationnelle et militaire de HTS. Les images diffusées récemment, montrant des combattants de HTS maîtrisant des technologies avancées, notamment l’usage tactique de drones, témoignent de cette dynamique de soutien turco-qatari.
Selon des sources diplomatiques iraniennes proches du dossier, la chute d’Assad avait suscité de vives inquiétudes à Téhéran, où l’on redoutait que la coalition soutenue par Ankara et Doha ne devienne un foyer de radicalisation renforcée, menaçant la stabilité même des frontières iraniennes et la sécurité régionale. Ces craintes ont été officiellement exprimées lors d’une réunion entre Bachar al-Assad et le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, quelques jours avant la chute du régime.
Une diplomatie turque active et une présence renouvelée à Damas
Le repositionnement de la Turquie dans la nouvelle Syrie est également marqué par un retour diplomatique très symbolique : la réouverture rapide de son ambassade à Damas, accompagnée de visites officielles du ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan et du chef des services de renseignement İbrahim Kalın. Ces déplacements traduisent une volonté claire d’Ankara de consolider son influence politique et militaire au cœur du pays, et de contrôler la trajectoire du pouvoir émergent. Par cette diplomatie active, la Turquie espère imposer un modèle syrien aligné avec ses intérêts stratégiques, tout en marginalisant les alliés traditionnels de l’Iran et de la Russie.
Une administration radicale et des figures emblématiques de la continuité djihadiste
Le gouvernement formé par HTS, sous la présidence d’al-Sharaa, s’appuie sur des personnalités aux passifs controversés, véritables piliers de l’appareil sécuritaire et militaire. Marhaf Abu Qasra, promu ministre de la Défense, a supervisé la restructuration des forces armées du groupe, pilotant les offensives décisives qui ont permis la chute du régime Assad. Ali Nour al-Din al-Nassan, chef d’état-major, joue un rôle déterminant dans la militarisation et la discipline des troupes, renforçant la cohésion d’une armée désormais dédiée à la défense de la cause djihadiste.
Sur le plan judiciaire, la nomination de Shadi Mohammed al-Waisi comme ministre de la Justice illustre la rigueur extrême du nouvel État. Connu pour ses décisions punitives sévères, notamment des exécutions sommaires dans la région d’Idlib, al-Waisi incarne une justice radicale qui instrumentalise la religion pour asseoir un régime de terreur.
Un terreau favorable à la résurgence de Daech et des violences sectaires
Le retour en force des groupes extrémistes en Syrie est confirmé par des manifestations inquiétantes, comme le déploiement de drapeaux de Daech dans plusieurs villes majeures – Damas, Lattaquié, Tartous révélant la montée des tensions et la résurgence de cellules terroristes actives. Ce phénomène alarme la communauté internationale et les acteurs régionaux, conscients qu’une Syrie instable et sous contrôle djihadiste peut redevenir un foyer d’expansion terroriste.
Un rapport récent du quotidien britannique The Telegraph qualifie cette situation de « bombe à retardement », soulignant que les conditions actuelles favorisent une reconstitution rapide et potentiellement dévastatrice de Daech. Le camp d’al-Hol, principal centre de détention des familles de combattants djihadistes, est surveillé de près mais reste un épicentre latent de radicalisation.
Les États-Unis, malgré leur retrait partiel, maintiennent une vigilance accrue, menant des frappes ciblées contre les positions djihadistes et soulignant dans leurs rapports une multiplication des attaques triplées en 2024 par rapport à l’année précédente, selon le centre d’analyse Soufan. Cette escalade traduit une évolution vers des formes plus sophistiquées et meurtrières d’actions terroristes, rendant le contrôle sécuritaire particulièrement délicat.
Une communauté internationale divisée face à un régime controversé
Depuis la création du Front al-Nosra en 2012, largement reconnu comme la branche syrienne d’Al-Qaïda, la communauté internationale s’est positionnée de manière ferme contre cette entité, classée terroriste par le département d’État américain dès 2012 et confirmée sous le nouveau label HTS en 2018. Les Nations unies continuent d’inscrire HTS sur la liste noire des organisations terroristes, témoignant d’un consensus formel contre ce groupe.
Cependant, paradoxalement, certains pays occidentaux influents notamment la France, l’Allemagne et l’Italie semblent aujourd’hui enclins à normaliser les relations avec le régime HTS à Damas. Ce tournant diplomatique, motivé en partie par des intérêts économiques et la volonté d’éviter un vide politique, risque de légitimer un pouvoir radical, au détriment de la lutte contre le terrorisme et de la stabilité régionale.
Conclusion : Vers une Syrie fragmentée et sous contrôle extrémiste ?
L’ère post-Assad en Syrie est marquée par un équilibre précaire où les ambitions turco-qatariques soutiennent un pouvoir aux fondements idéologiques profondément radicaux. Ce régime, bien que victorieux, demeure une source majeure d’instabilité pour le Moyen-Orient, exacerbant les tensions sectaires, nourrissant la résurgence terroriste et posant un défi stratégique aux grandes puissances.
Sans une réévaluation urgente des approches diplomatiques et sécuritaires internationales, la Syrie risque de devenir une véritable plateforme régionale du terrorisme, un catalyseur de conflits qui compromettra durablement la paix et la sécurité dans la zone.