Plumes des deux rives

Tunisie : La dépénalisation des chèques sans provision, réforme audacieuse ou risque é

Nizar Jlidi journaliste et analyste politique 

Le gouvernement tunisien envisage une réforme majeure du code pénal économique : la suppression des peines de prison pour les émetteurs de chèques sans provision. Si cette mesure est saluée par certains comme une avancée dans le respect des droits individuels, sa mise en œuvre, dans le contexte actuel, soulève de nombreuses inquiétudes. La question centrale reste : le pays est-il prêt pour une telle transition ?

Une réforme libérale dans une économie de survie

Dans la Tunisie post-révolutionnaire, le chèque postdaté est devenu un outil central parfois le seul dans les relations commerciales. Faute de financement bancaire accessible, de garanties souples ou d’un système judiciaire efficace, ce moyen de paiement est devenu une forme de contrat tacite entre acteurs économiques. Les entreprises, les fournisseurs, les artisans, mais aussi de nombreux jeunes porteurs de projets y ont eu recours, souvent faute de mieux.

Supprimer du jour au lendemain la sanction pénale sans garantir de solutions alternatives risque de briser ce fragile équilibre. Le chèque, bien qu’imparfait, fonctionnait comme un levier de confiance. Sa disparition brutale pourrait entraîner un effet domino : chute de la confiance, retrait des fournisseurs, multiplication des litiges, et au final, faillites en chaîne.

Des effets secondaires redoutés

Ce scénario pourrait avoir des répercussions dramatiques sur l’emploi, notamment dans les secteurs les plus précaires ou ceux qui dépendent du financement informel. Les jeunes entrepreneurs et les petites structures, déjà marginalisés par un secteur bancaire frileux, risquent d’être les premières victimes.

Autre point d’alerte : l’informalité. En l’absence d’un système de garantie fiable et de dispositifs électroniques efficaces, l’économie parallèle celle des circuits de contrebande, de la drogue et du cash non déclaré pourrait encore gagner du terrain. Le chèque, en dépit de ses défaillances, servait jusqu’à présent de filtre, voire de barrière face à la toute-puissance de la liquidité illégale.

Les banques, grandes absentes du débat

L’ironie du sort, c’est que les banques, censées offrir des solutions de crédit et de garantie, restent largement absentes de ce débat. Pire, elles ne respectent pas leurs engagements légaux. La loi impose qu’au moins 8 % de leurs bénéfices soient consacrés au microcrédit pour leurs propres clients. Une disposition constamment ignorée, sans qu’aucune autorité ne s’en émeuve.

Ce vide bancaire laisse la porte ouverte à des systèmes de substitution informels, dans lesquels le chèque postdaté, malgré sa précarité, faisait figure de promesse d’échange.

Une transition nécessaire, mais pas à l’aveugle

Le véritabl enjeu n’est pas tant la dépénalisation elle-même, que la façon dont elle sera appliquée. Car supprimer la prison ne suffit pas : il faut repenser toute la chaîne de confiance dans les transactions économiques. Cela passe par :

L’amélioration des garanties bancaires accessibles et rapides

La réforme du système judiciaire commercial, aujourd’hui lent et inefficace

La mise en place de mécanismes concrets pour protéger à la fois le fournisseur, le débiteur de bonne foi et le consommateur

Et surtout, le développement de solutions de paiement modernes et réglementées, capables de remplacer progressivement le chèque.

Conclusion : Un choix politique aux conséquences systémiques

Dépénaliser les chèques sans provision est une décision politique forte. Elle pourrait marquer une avancée vers un État plus juste et plus libéral, respectueux des droits fondamentaux. Mais appliquée dans un vide structurel, sans garde-fous économiques ni réflexion systémique, elle risque de provoquer un choc de confiance aux effets économiques dévastateurs.

Dans un pays encore marqué par l’instabilité, la lenteur des réformes et la méfiance envers les institutions, le défi n’est pas de réformer vite, mais de réformer juste.

 

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