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« Le pragmatisme enraciné dans l’esprit perse »

 

Par : Nidal Khadra            

 

Comprendre l’histoire est une des bases essentielles de l’analyse et de l’intelligence politique. Dans le contexte actuel de bouleversements géopolitiques majeurs, il devient crucial de s’interroger :
Le pragmatisme du pouvoir iranien est-il un phénomène récent, ou constitue-t-il un trait structurel profondément ancré dans l’esprit politique perse ?

À travers une recherche approfondie  qui mérite débat et affinage  il apparaît que cette approche pragmatique est bien enracinée dans l’histoire de cette nation. Depuis des siècles, la mentalité politique perse manifeste une tendance marquée à l’adaptation stratégique, au retrait tactique et à la préservation de l’État au détriment d’affrontements frontaux potentiellement destructeurs.

Voici quelques étapes clés illustrant cette constance historique :

 

1. La conquête arabe (VIIe siècle – Califats rashidun et omeyyade)

  • Contexte : La chute de l’empire sassanide face aux armées musulmanes.
  • Réaction perse : Loin de disparaître, la culture perse s’est progressivement intégrée à la civilisation islamique.
  • Résultat : Au lieu d’une résistance désespérée, les Perses ont reconstruit leur influence au sein du califat, notamment à l’époque abbasside, en devenant acteurs majeurs dans la religion, la science et la politique.

2. Face à la domination turque seldjoukide

  • Malgré leur statut de conquérants étrangers, les Seldjoukides n’ont pas été confrontés à une résistance perse généralisée.
  • Les Iraniens ont opté pour une stratégie d’adaptation culturelle et religieuse.
  • Ils ont progressivement investi les rouages administratifs, sans chercher à reprendre le pouvoir par la force.

Conséquences :

  • L’État perdure, mais l’administration et la culture restent largement perses.
  • Le persan devient langue officielle de l’administration seldjoukide.
  • La majorité des vizirs sont d’origine perse, dont le célèbre Nizam al-Mulk, fondateur des écoles « nizamiyya ».

Position stratégique : retrait politique mais domination culturelle et administrative.

 

3. Alliance tactique avec le califat abbasside sunnite

  • Sous les Seldjoukides, les Perses renoncent à leurs projets chiites autonomistes (comme ceux des Bouyides).
  • Ils évitent un affrontement confessionnel frontal avec les puissances sunnites montantes.

Résultat : retrait idéologique et politique provisoire, permettant le maintien de l’identité perse dans un cadre sunnite.

4. Acceptation d’un double pouvoir

  • Le pouvoir militaire appartient aux Seldjoukides.
  • La légitimité religieuse est détenue par les Abbassides.
  • L’administration reste en mains perses.

L’Iran renonce à une souveraineté directe, mais conserve un profond ancrage civilisationnel.

5. L’invasion mongole (XIIIe siècle)

  • L’Iran est ravagé par les troupes de Hülägü puis de Tamerlan.
  • Réaction : acceptation temporaire, puis assimilation des Mongols, qui finissent par adopter l’islam sous les Ilkhanides.

Résultat : survie de l’identité perse et intégration de l’envahisseur plutôt que résistance coûteuse.

6. Les conflits avec l’Empire ottoman (XVIe–XVIIe siècles)

  • Guerres sanglantes entre les Safavides chiites et les Ottomans sunnites.
  • Stratégie iranienne : alternance entre résistance militaire et accords diplomatiques (ex : traité de Zohab, 1639).

Résultat : préservation du modèle religieux et politique iranien, malgré des pertes territoriales.

7. Les défaites face à la Russie tsariste (XIXe siècle)

  • Pertes territoriales dans le Caucase (Azerbaïdjan, Arménie, Daghestan).
  • Signature de traités humiliants : Golestan (1813) Turkmanchai (1828)

Objectif : sauvegarder le noyau de l’État perse.

8. Occupation anglo-russe (début du XXe siècle)

  • L’Iran est divisé en zones d’influence sans résistance sérieuse.
  • Le régime accepte une souveraineté formelle, avec une flexibilité tactique.

9. Révolution constitutionnelle (1905–1911) et retour du pouvoir absolu

  • Après l’échec du projet constitutionnel, le Shah reprend le pouvoir avec soutien étranger.
  • Résultat : priorité donnée à la stabilité de l’État central au détriment de la démocratisation.

10. Révolution islamique de 1979

  • Chute du régime du Shah.
  • Nouvelle stratégie : création d’un système politico-religieux absorbant la colère populaire au service d’un nouveau projet étatique.

11. Guerre Iran-Irak (1980–1988)

  • Résistance prolongée malgré des pertes humaines considérables.
  • Acceptation de la résolution 598 de l’ONU (cessez-le-feu).
  • Khomeiny parle de « boire le calice de poison », préférant sauver la République que risquer son anéantissement.

12. Programme nucléaire et sanctions internationales (2005–2015)

  • Tensions croissantes avec la communauté internationale.
  • Après des années de résistance, signature de l’accord JCPOA en 2015.

But : lever les sanctions et repousser l’affrontement majeur.

13. Mouvements de protestation internes (2009, 2017, 2019, 2022 – affaire Mahsa Amini)

  • Réponse du régime : répression contrôlée, concessions de façade, absorption du mécontentement.

Stratégie : éviter l’effondrement tout en affaiblissant l’opposition.

14. Évitement de la confrontation directe avec les États-Unis et Israël

  • Malgré un discours révolutionnaire virulent, l’Iran évite l’escalade, y compris après l’assassinat de Qassem Soleimani.
  • La riposte est calculée.

Objectif : préserver le régime et différer le choc direct jusqu’à ce que les conditions soient plus favorables.

Conclusion stratégique

« L’esprit politique perse préfère plier face à la tempête pour préserver ses racines, puis renaître une fois l’orage passé. »
Ainsi, lorsque le régime se sent menacé, il peut reculer ou faire des concessions, non par faiblesse, mais pour garantir la survie de l’État  et de lui-même.

 

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