L'Edito

L’opposition iranienne est-elle capable de faire tomber le régime face à l’escalade avec Israël ?

Par : Nizar Jlidi, écrivain et analyste politique

Les États-Unis se montrent prudents quant à une confrontation directe avec l’Iran. Non pas par crainte de ses capacités militaires, mais par peur de répéter les échecs vécus en Afghanistan, en Irak ou encore en Libye, où la chute des régimes en place a engendré un chaos total et favorisé l’émergence de groupes encore plus extrémistes.

Dans le cas iranien, les inquiétudes de la communauté internationale sont exacerbées par la position géostratégique cruciale du pays, son influence régionale sur une zone représentant plus de 40 % du commerce mondial, ainsi que sa contribution à 37 % de la production mondiale de pétrole et de gaz. À cela s’ajoute le contrôle de Téhéran sur des voies maritimes essentielles comme le détroit d’Hormuz.

Le danger majeur ne réside donc pas tant dans une guerre ouverte menée par les États-Unis, mais dans l’absence de vision claire pour l’après-régime. En effet, la chute brutale du régime iranien sans alternative forte et organisée pour reprendre les rênes du pays pourrait conduire à un chaos interne généralisé ou à l’émergence d’un régime encore plus radical.

Ainsi, le scénario préféré par Washington semble être celui d’un coup d’État interne au sein même du régime, bien que cette option reste extrêmement complexe. Cela s’explique par la nature totalitaire et religieuse du pouvoir en Iran, ainsi que par le fond historique et identitaire profond du peuple iranien, dont la mémoire politique remonte à l’ère safavide, en passant par la dynastie Pahlavi jusqu’à l’actuelle République islamique.

S’ajoute à cela la puissance de la milice des Bassidj, bras idéologique du régime, comptant près d’un million de membres actifs, réguliers et irréguliers. Ils sont dotés d’une capacité d’intervention rapide pour étouffer toute révolte et jouent un rôle central dans la préservation de la sécurité intérieure, en appui aux Gardiens de la révolution.

Malgré les coups successifs portés au régime, l’opposition iranienne ne semble actuellement pas en mesure de le faire tomber seule, à moins qu’une guerre d’usure prolongée, une multiplication des fronts internes et un soutien extérieur direct (sécuritaire, militaire, médiatique et financier) ne viennent la renforcer.

Analyse stratégique : « Le régime iranien entre pressions extérieures et fractures internes »

Premièrement : Conditions de la chute du régime dans le contexte d’une guerre

Pour qu’Israël atteigne son objectif principal – le renversement du régime iranien – plusieurs conditions clés doivent être réunies :

  1. Érosion des capacités militaires du régime, notamment celles des Gardiens de la révolution et des Bassidj, par des frappes israéliennes ciblées ou une division interne dans les hautes sphères militaires.
  2. Éclatement des fronts ethniques et confessionnels (Baloutches, Kurdes, Arabes d’Ahvaz, et manifestants persans à Téhéran et Ispahan).
  3. Perte de contrôle du régime sur les médias et les communications, permettant à l’opposition de mobiliser la rue et d’organiser des soulèvements.
  4. Intervention étrangère décisive (militaire, de renseignement ou logistique) en soutien aux opposants armés ou aux soulèvements populaires.

Deuxièmement : Évaluation des capacités de l’opposition iranienne

Malgré la diversité de ses composantes, l’opposition iranienne souffre de plusieurs faiblesses structurelles qui l’empêchent actuellement de faire chuter le régime par elle-même :

  1. Absence d’un leader national consensuel bénéficiant d’un large soutien populaire.
  2. Profonde division entre les différentes factions de l’opposition : monarchistes, Moudjahidine du peuple (MEK), PJAK, opposition arabe, etc., chacun agissant indépendamment.
  3. Manque d’organisation politique et militaire unifiée.
  4. Absence de forces armées organisées à l’intérieur du pays.
  5. Peuple iranien peu disposé à entrer dans une guerre civile, ayant tiré des leçons douloureuses des expériences irakienne et afghane.
  6. Profondeur civilisationnelle et identité nationale forte, offrant une base sociale relativement stable au régime.
  7. Absence de lignes logistiques pour les insurgés, les pays voisins (Afghanistan, Turkménistan, Azerbaïdjan, Arménie) refusant de se confronter au régime.
  8. Faibles capacités en renseignement et communication de l’opposition.
  9. Large infiltration des services de sécurité iraniens dans les rangs de l’opposition.

Troisièmement : Carte des tensions internes et zones d’influence potentielle de l’opposition

Région Ethnie Confession Taux de rébellion
Sistan et Baloutchistan Baloutches Sunnites Élevé (rébellion armée)
Ahvaz (Khuzestan) Arabes / Kurdes Chiites & Sunnites Faible
Tabriz et Nord-Ouest Azéris Chiites Nul
Téhéran et Ispahan Persans Chiites Manifestations pacifiques uniquement – présence de classes intellectuelles, activistes civils, réformateurs, syndicats
Kerman, Qazvin, Hamedan Mixtes Majoritairement chiites (minorité sunnite marginale) Faible

 

Quatrièmement : Scénarios possibles en cas de poursuite du conflit et d’intervention américaine

Scénario 1 : Maintien du régime

  • Contrôle sécuritaire renforcé par les Gardiens de la révolution et les Bassidj.
  • Répression de toute rébellion.
  • Résultat : maintien du régime, mais avec des pertes politiques et populaires.

Scénario 2 : Rébellion périphérique limitée

  • Éclatement de foyers de tension au Kurdistan et au Baloutchistan.
  • Maintien du contrôle sur la capitale et les grandes villes.
  • Résultat : fractures sécuritaires régionales, mais sans effondrement du régime.

Scénario 3 : Effondrement progressif et fragmentation

  • Frappes affaiblissant la capacité du régime à contrôler l’armée.
  • Ralliement de certains officiers aux manifestants.
  • Déclaration de zones autonomes dans les régions périphériques.
  • Résultat : chaos généralisé, chute possible du régime sous 3 à 6 mois.

Dans ce dernier scénario, les États-Unis pourraient intervenir pour favoriser un coup d’État discret au sein des Gardiens de la révolution, afin d’éviter l’effondrement total de l’État.

Conclusion :

L’opposition iranienne, dans sa configuration actuelle, n’a pas la capacité de renverser seule le régime. Toutefois, elle représente un potentiel de rébellion latent, susceptible d’être activé si le régime s’épuise dans une confrontation prolongée avec Israël

 

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